rallumez-moi ces neiges !

Installation éphémère


Villars d'Arène (05)
Festival de la Haute-Romanche (août 2007)

 

 

note d'intention

Il me souvient d’un certain après-midi d’enfance. A traîner avec une vieille dame dans une église. On s’embête un peu. Je vois la vieille dame glisser quelques pièces dans un tronc. Elle me tend une petite bougie rouge.  « On va allumer une bougie pour papi. » J’allume la mèche à une autre flamme et je pose ma bougie dans un parterre de bougies. -- Une pause. -- Lorsque nous repartons je ne sais plus où se trouve la bougie de mon grand-père. Toutes ces flammes qui brûlent pour quelqu’un ou pour un souhait, tout cela était définitivement anonyme.

Vallée de la Haute-Romanche, vingt ans plus tard : qui découvre ce canton pour la première fois se prend à mesurer le monde qui l’entoure à l’aune des 3983 mètres qui le surplombent. Tout y devient sublime ou ridicule. Cela provoque de la pitié. Comme un besoin irrépressible d’entrer en conflit ou en prière. Tout de suite naît un désir : placer là une simple bougie. Ce désir un peu puéril de pousser l’écrasement et la disproportion à leurs limites. Comme dans ces lavis Chinois du XVIIème siècle, où l’homme ne mesure que quelques millimètres au pied des montagnes.
Ainsi un soir : on monte « là-haut » et on pose une bougie. La mise en oeuvre est modeste.
Alors petit à petit se lève une étrange cohorte... La ribambelle des petits enfants qui passaient là derrière leur institutrice : quelqu’un pour faire la trace, et eux qui suivent tout petit dans la neige, pas plus grands qu’une flamme. Il y a là encore le Petit Poucet et tous ses frères, la peur du noir et la lumière qu’on cherche. On aperçoit aussi tous les fusillés du tunnel Grand Clôt, la peur du noir et la lumière qui ne revient pas. Suit encore : la créature de Franckenstein, le nez collé de l’autre côté de la vitre, hypnotisé à la chaleur des foyers protégés : tous les Winterreise. Et puis : ces grands soleils lumineux qui font se lever les gosses la nuit de Noël. -- On reste un peu surpris. -- Pour une bougie et une montagne…
A l’évidence on ne savait pas ce que signifiait la rencontre d’une bougie et d’une montagne, et visiblement on le sait de moins en moins.
Mais c’est ainsi : moins on sait ce qu’une chose signifie, et plus grandit le désir de la réaliser.
On se rassoit. On voit encore remonter un certain après-midi d’enfance, à traîner avec une vieille dame dans une église : l’expression indéchiffrable des petites flammes qui se prétendent un lien avec l’inconnu.

François Salès